Comme toujours pile au jour de l'automne, les cotons de l'été laissent place aux douilletteries d’hiver. Les lainages tirés de leurs boîtes qui ne fleurent même plus la naphtaline, se déplient sur les cintres, s’empilent sur les rayons, gilets, bonnets, pull, sous-pull, avec ou sans col...
La fidèle Biyana qui m’organise ces chambardements, tombe sur un sac transparent, tel que le teinturier l’avait rendu, scellé, en mai dernier. Il contient un tissu rouge,
- Je le déchire, le plastique ?
- Bien sûr !
- Et pour le mettre où ça ? Qu’est-ce que c’est ?
- Tu le vois bien : un foulard.
- Encore ? Ça vous fait le quatrième foulard rouge. Le tiroir en déborde. Que du rouge ! Et toujours le même rouge ! Purpuren, chez nous. Communiste !
Biyana est d’origine bulgare.
- Oui,
carmin en français. Des cadeaux…
- Attends avant de ranger celui-ci ! Je veux le prendre en photo.
Biyana me regarde avec attendrissement. Elle sait bien que mon appareil est nase et que mon talent atteint la nullité olympique. De plus, tirer le portrait d’un bout de tissu rouge, quel délire !
Je prends ma photo quand même. Résultat pire serait impossible ! Quel artiste !
Ce que je n’ai pas dit à Biyana, c’est que ce foulard n’en est pas un ; j’y tiens parce qu’on me l’a donné, geste qui se vénère. Je l’appelle l’écharpe de Marie-France.
Retour en arrière : une fois de plus, je venais d’égarer mon cache-nez préféré. Rouge, évidemment. Comme les parapluies ou les gants, ces bricoles vous échappent joyeusement. C’est pour ça que les étourdis les choisissent volontiers d’une couleur pimpante. J’avais dû raconter cette mésaventure à Marie-France. Histoire de me moquer de moi pour la faire sourire. Peut-être lui confier combien je trouvais compliqué alors d’en trouver un semblable : un cache-nez pétant le feu ! La mode à l’époque n’était plus à ce rouge soviet que je porte en secrète fidélité envers un grand-père aux Brigades internationales…
Quelques mois plus tard, à la belle saison, j’avais oublié ces confidences de cache-nez et jusqu’à l’usage d’écharpes sous les bouffées du printemps si bien établi, lorsque à l’occasion d’une autre halte parisienne, Marie-France tira d’un de ses cabas un paquet cadeau ficelé à sa façon.
- Regarde ce que je t’ai trouvé ! dit-elle.